Eolien (et photovoltaïque) : solution, ou impasse ?

A propos du livre de Cédric Philibert : « Eoliennes, pourquoi tant de haine ? »

Jusqu’aux années 2015-2020 les systèmes de production électrique à base de  vent ou de soleil ont été jugés assez favorablement par l’opinion française. Ensuite on a pu noter chez celle-ci un certain trouble, voire un retournement. D’abord parce que les premiers déploiements importants de parcs éoliens ont concrétisé leur impact désagréable, parfois dévastateur, sur les paysages du monde rural : on a mesuré du regard ce que cela donnait dans la « vraie vie ». Ensuite parce que l’action médiatique de certaines personnalités a conforté ceux qui résistaient à ces nouveaux moulins à vent sans être bien sûrs d’avoir raison.

Parmi ces personnalités, la plus crédible fut Jean-Marc Jancovici, ingénieur bien au fait des aspects techniques des questions d’énergie et médiatiquement très habile. La BD qu’il a coécrite sous le titre « Un monde sans fin » a été, toutes catégories confondues, l’ouvrage le plus vendu en France en 2022. Son compte Linkedin a plus de 600 000 abonnés. Du côté des partisans des énergies renouvelables on a tardé à le prendre au sérieux, se contentant de dénoncer en lui un lobbyiste du nucléaire, et puis on vient de se rendre compte qu’il fallait contre-attaquer.

Le fer de lance de cette contre-attaque est actuellement Cédric Philibert, un diplômé de Sciences-Po Grenoble qui, passant d’abord par le journalisme, fit ensuite une carrière d’analyste dans divers instituts en se spécialisant dans les questions du climat et des ENR. Il vient de publier (relayé par le magazine Alternatives économiques qui en a donné les bonnes feuilles) un livre intitulé « Éoliennes, pourquoi tant de haine ? ». 

Ce livre veut « réhabiliter les renouvelables ». Il a le mérite de montrer aux opposants aux parcs éoliens que leurs arguments sont parfois un peu trop schématiques. Le monde est compliqué, les situations des différents pays ne se ressemblent pas, les solutions varient selon la conjoncture historique. On y reviendra.

Pour défendre l’éolien, Cédric Philibert s’en prend d’abord à ceux qui ne l’aiment pas. Grosso modo il les accuse d’être surtout des réactionnaires partisans du nucléaire. Citons : « Intellectuels et personnalités médiatiques, lobby nucléaire et extrême droite… ont déclaré la guerre à l’éolien, accusé de tous les maux » …  « Le soutien au nucléaire vire alors au nationalisme le plus étroit, mâtiné de défense des ruraux contre les élites urbaines et la finance internationale… » « On constate très souvent aujourd’hui que les adversaires acharnés de l’éolien sont aussi des défenseurs passionnés – et exclusifs – du nucléaire ». Un éolien attaqué par des gens aussi méchants a forcément quelque chose de bon. Stratagème un peu usé mais ça peut encore marcher.

Il y a plus intéressant. On sait que l’un des arguments des anti-éoliens est que, s’agissant d’un mode de production très intermittent, il ne peut être efficace que s’il est combiné à des moyens classiques que sont l’hydroélectrique, les centrales thermiques brûlant des combustibles fossiles, ou les centrales nucléaires. Si on refuse le nucléaire, et sachant qu’il n’y a pas grand-chose de plus à tirer de l’hydroélectrique, on aboutit à ce paradoxe que développer l’éolien, c’est développer ou au moins consolider les centrales thermiques, précisément les plus réactives qui marchent au gaz. Donc on ne peut simultanément sortir du nucléaire et se lancer dans l’éolien sans conserver voire augmenter de notables émissions de CO2.

Et bien non, affirme Cédric Philibert : « Il n’existe pas de difficultés réelles avec la variabilité [il veut  dire l’intermittence] du solaire et de l’éolien au niveau où ils se situent aujourd’hui… et même bien au-delà. En outre, aussi surprenant que cela puisse paraître, l’électrification des bâtiments, de l’industrie et des transports facilitera l’intégration des énergies renouvelables variables en apportant de nombreuses flexibilités nouvelles : batteries des véhicules électriques, systèmes de stockage de chaleur et de froid, électrolyseurs, etc. »

En effet, c’est le cœur de sa thèse, on ne pourrait, en France, se passer d’éolien et de solaire qu’en maintenant la large prépondérance du nucléaire dans une production électrique de niveau constant. Or c’est impossible car le nucléaire c’est mal. De plus, pour décarboner l’économie dans son ensemble il faut très largement électrifier plein de choses, en particulier les transports. Aller vers un parc automobile 100% électrique suppose d’augmenter largement la production électrique actuelle. Pour y parvenir avec beaucoup moins de nucléaire il faudra (sans jeu de mots) faire feu de tout bois, donc quadrupler la puissance éolienne à terre.  

Quadrupler, ce serait trop ? Non. Après être allé au concours Lépine des innovations technologiques, Cédric Philibert balaye d’un revers de mains les craintes des opposants, présentés comme vieux, ringards et égoïstes : « En réalité les inconvénients de l’éolien sont extrêmement minimes au regard des bénéfices environnementaux attendus (…) Le seul véritable préjudice est esthétique : on aime ou on n’aime pas cette transformation des paysages, surtout si l’on ne perçoit pas qu’il s’agit d’un message d’espoir envoyé aux jeunes générations…. Notre potentiel s’élève à 80 Gigawatts au moins d’énergie éolienne terrestre, affectant (sans l’accaparer loin de là) moins de 2% de la superficie métropolitaine… [ce qui « affecterait », comme il dit, quand même l’étendue de deux départements !].

En résumé deux positions s’affrontent : celle d’un Philibert, qui pense que l’avenir réside dans une économie encore croissante mais peu émettrice de gaz à effets de serre grâce à une intense électrification à base d’énergies renouvelables, ou celle d’un Jancovici qui estime que la seule solution serait de s’abstenir de la fuite en avant technologique et de redevenir frugal.

En faveur de la thèse de Philibert, il y aurait – apparemment – le cas allemand. En 2011 l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire, en même temps qu’elle voulait diminuer son recours aux combustibles fossiles. Si on compare ses chiffres de production de 2010 et de 2019 on a le sentiment qu’elle pouvait le réussir. Sur une production électrique totale de 635 TWh en 2010, charbon et lignite en produisaient 263, et seulement 172 en 2019. Le nucléaire est passé de 141 TWh à 75. Pour compenser cette baisse de 157 TWh, l’éolien et le solaire ont apporté bravement 120 TWh de plus. Le brûlage de biomasse et de déchets (renouvelables mais émetteurs de CO2, on oublie souvent de le dire) a été accru de 16 TWh. Les 21 TWh qui manquent encore ont été trouvés en diminuant les exportations et grâce à un effort d’économie. Vous voyez bien qu’on peut le faire, nous dit Philibert.

Certes, mais un détail est intéressant : les Allemands n’ont pas touché aux centrales à gaz, qui produisaient autant (90 TWh) en 2019 qu’en 2010. Et même un peu plus en 2020 malgré la Covid. Le pivot de leur stratégie c’est bien la centrale à gaz, et voilà pourquoi, début 2022, on allait à la fois ouvrir le gazoduc NordStream 2 et déclarer le gaz « énergie verte »… juste avant que la guerre n’éclate. Alors faute de gaz russe, et les gisements éoliens étant déjà largement exploités, il a fallu récemment réveiller les projets d’extension des mines de lignite à Lützerath et Hambach, contrairement aux espoirs des écologistes locaux, prestement délogés par la police. Et repousser de plusieurs années la fermeture de quelques centrales nucléaires.

Rien n’est aussi simple que l’affirme Cédric Philibert, et tout se complique…

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