La conférence « un autre visage énergétique de la France est possible » donnée par Joel Guerry au Grand-Abergement le 8 décembre 2023.

Cette conférence a été organisée par la commune de Ruffieu, dont le logo figure sur le « flyer » qui l’annonçait, dans une salle prêtée par la commune de Haut-Valromey. Le tout dans une assez surprenante discrétion. Encore une fois nous ne l’avons su que par hasard et certainement pas par la commune organisatrice. Le fait est que l’assistance fut limitée (29 personnes au total). Les deux communes étaient représentées par leur maire, et aucun conseiller municipal de Ruffieu n’était présent.

Qui est Joel Guerry ? Né en 1951, docteur et ingénieur « en énergies et pollution » c’est aussi un militant de la première heure contre le nucléaire dans ses différentes déclinaisons, militaires et civiles. Selon un article de la Voix de l’Ain du 19/07/2019 il manifestait déjà contre Superphénix en 1971, à 20 ans, donc bien avant d’avoir achevé ses études. Il annonce dès le début de sa conférence – et c’est bien de dire clairement d’où il parle – être membre de « Sortir du nucléaire Bugey » et du « Groupement des scientifiques pour l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN) ». Toutefois son exposé, qui va durer plus d’une heure et demie, n’est pas consacré à une démonstration de la nocivité du nucléaire en soi ; cette nocivité est implicitement admise comme un fait évident. Les accidents (Tchernobyl, Fukushima) sont à peine mentionnés et le risque d’accidents n’est abordé que sous l’angle du coût des mesures de sécurité, coût qui compromettrait la rentabilité de ce mode de production de l’électricité.

À la demande de plusieurs auditeurs, Joel Guerry s’est engagé à leur faire parvenir la version PDF de son exposé, surtout les nombreux tableaux de chiffres ou graphiques présentés. Une semaine plus tard, et malgré une relance, l’auteur de ces lignes – peut-être identifié comme hérétique dangereux – n’a rien reçu. Ce qui suit découle donc de la réécoute de l’enregistrement sonore fait (on n’est jamais trop prudent) pendant la conférence. Ce n’est pas parfait mais bien suffisant, et puis ce n’est pas de notre faute !

Ajout du 18/12 : le pdf promis est venu, en retard, mais venu, dont acte.

L’exposé comporte 6 parties : 1 – L’historique de la politique énergétique française/ 2 – La situation énergétique (mondiale et française) actuelle / 3 – La transition énergétique et ses moteurs (sobriété, efficacité, déploiement d’énergies renouvelables) / 4 – Quel mix énergétique pour l’avenir ? / 5 – Un objectif possible : 100% renouvelables / 6 – Investir dans les énergies renouvelables.

Il serait fastidieux de reprendre ce plan et résumer ici chacune de ces parties. En effet elles sont longuement et amplement faites (au moins pour tout ce qui vient avant le point sur le déploiement des énergies renouvelables) de données factuelles ou largement partagées, en particulier pour tout ce qui touche à la sobriété, ou l’efficacité des technologies. L’auditoire est un peu noyé sous une avalanche de notions (énergie primaire, énergie finale, rendements, facteurs de charge, etc.) de chiffres ou graphiques, le tout le plus souvent (mais pas toujours, on y reviendra) incontestable à condition de ne pas être interprété tendancieusement. Et puis cela fait « scientifique ».

Il est plus intéressant d’essayer de comprendre comment Joel Guerry veut conduire son auditoire à la conclusion qu’il faut et que l’on peut sortir de l’énergie nucléaire tout en sortant des énergies fossiles.

D’abord parce que le nucléaire n’a pas l’importance quantitative qu’on croit. Il ne représente en 2020 que 2% de la consommation finale mondiale d’énergie, et 18% de la consommation finale française. D’ailleurs en France toutes les énergies renouvelables confondues sont presque au même niveau que le nucléaire. Première conclusion : quelque chose qui ne tient pas la place qu’on imaginait est quelque chose dont on devrait pouvoir se passer .

Ensuite parce que moyennant des efforts substantiels (sur lesquels nous sommes tous d’accord, encore faut-il s’organiser pour le faire) de sobriété et d’efficacité, à l’horizon 2050 la réduction de la consommation finale d’énergie en France devrait « être de plus de 50% ». En gros on diviserait nos besoins par 2. Avec une telle réduction des besoins, pourquoi s’acharner dans le nucléaire ? On objectera juste que cette division par 2 parait énorme… Elle ne pourrait se faire que par des remises en cause drastiques de nos modes de vie qui poseraient des problèmes politiques aigus.

Troisièmement parce que l’évolution des coûts de production va dans le sens d’un renchérissement du nucléaire, surtout dans le domaine des EPR, et d’une baisse continue des énergies renouvelables. Donc continuer dans le nucléaire serait un entêtement économiquement insensé. La faiblesse de cet argument (qui cependant n’est pas dénué de fondement, ce pourrait être l’occasion d’une discussion approfondie) est qu’il brasse beaucoup de chiffres les uns solidement étayés (le coût du nucléaire historique) les autres conjecturels (le coût des EPR) ou peu fiables car provenant d’une myriade d’entreprises privées (le coût de l’éolien et du solaire). Même si les sources s’appellent Cour des comptes ou Commission de régulation de l’énergie.

Enfin parce que la production d’électricité par le nucléaire est peu compatible techniquement avec celle produite par les renouvelables non pilotables (éolien et solaire). En effet quand il y a abondance de vent et de soleil il faudrait arrêter la production nucléaire inutile, et la reprendre quand il y a trop peu de vent et de soleil ; or une centrale nucléaire ne s’arrête pas et ne redémarre pas au doigt et à l’œil. Selon une thèse de doctorat récente il faudrait, pour que le nucléaire fonctionne correctement, que la part de l’éolien et du solaire dans le mix énergétique ne dépasse pas 30%. Afin d’imager sa démonstration pour les esprits villageois que nous sommes Joel Guerry montre un graphe de la composition de la production d’électricité des mois de janvier et juin 2019, dans lequel il a multiplié par 15 le poids de l’éolien et du solaire (pour simuler une situation où ces énergies seraient beaucoup plus développées qu’aujourd’hui). Évidemment le nucléaire est écrasé, réduit au rôle de force d’appoint épisodique qu’il ne peut techniquement jouer. Ceci ne convaincra que les candides car une multiplication par 15 des ENR vent + soleil en 2019 reviendrait à leur faire produire environ 150% de la production totale nécessaire de cette année-là, ce qui est absurde !

Après avoir vu pourquoi il faudrait sortir du nucléaire, Joel Guerry passe en revue l’arsenal des techniques censées pouvoir le remplacer, lui et les énergies fossiles. C’est plutôt une litanie d’injonctions, face à quoi on pense : « plus facile à dire qu’à faire ». Développer les moyens de stockage de l’énergie (batteries, pompage-turbinage, etc.). Produire de l’hydrogène par électrolyse, etc. Revoir les réseaux électriques … Et bien sûr développer l’éolien partout.

Enfin … Pas partout. Au début, dans le nord et l’est de la France, les gens ont accepté les éoliennes. Aujourd’hui ils n’en veulent pas davantage. Trop c’est trop, nous dit Joel Guerry (nous, nous pensons plutôt qu’au début une majorité d’habitants amorphe laissait faire parce qu’elle ne mesurait pas les conséquences, et quand elle a compris, le nez sur le problème, à quoi elles ressemblaient, elle s’est – mais trop tard – réveillée).

Donc puisque là-bas, trop c’est trop, il faut que nous fassions notre part du boulot. En région AURA et entre autres en Bugey « il y a de la place ». Et il faut en mettre ici. Le maire de Ruffieu a voulu être démocrate en faisant voter les élus, il lui aurait d’abord fallu travailler et convaincre l’opinion…

Pour finir signalons une inexactitude et une prophétie de Joel Guerry.

Il est inexact d’affirmer comme il l’a fait que « la France paie des pénalités à l’UE pour retard dans son déploiement des énergies renouvelables ». Il pourrait en être question mais la France s’y oppose en faisant valoir que son mix énergétique est le moins émetteur de CO2 d’Europe. Ces discussions pourraient durer encore des années…

Prophétie de Joel Guerry : « L’Allemagne sortira des énergies fossiles (elle est déjà sortie du nucléaire) en 2035, voire 2030 ; car l’Allemagne fait toujours ce qu’elle dit. Elle en prend les moyens. C’est un pays sérieux. Si la France persiste dans le nucléaire elle vivra à la même époque dans un régime d’électricité rare et bien plus chère que dans les pays voisins ».

On verra si cette germanophilie est bonne inspiratrice. Je m’engage à lui faire parvenir (car j’ai bon espoir de durer jusqu’en 2035) une caisse de champagne si les faits lui donnent raison à cette date.

Edmond Varenne

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